Mémoire France Algérie
Octobre 2020
La France a remis à l’Algérie, le 3 juillet 2020, 24 crânes de combattants d’un passé lointain, celui de la conquête française. Il appartient aux historiens d’éclairer ce passé et rappeler la violence et la cruauté des affrontements ayant opposé tribus installées et forces françaises.
Il faut simplement rappeler que les conditions d’une guerre asymétrique alimentaient un cycle de représailles et contre-représailles où prévalait une sauvagerie largement distribuée dans les deux camps. Ces épisodes ont aussi une signification rétrospective : la France qui se glorifiait à juste titre d’avoir mis fin au système de la prédation esclavagiste installé à Alger, n’était pas acceptée si elle pensait s’installer en nouveau Régent d’une terre lointaine et rétive dont le seul ferment d’homogénéité était la religion musulmane.
La restitution du 3 juillet est bienvenue. Pas seulement pour des raisons historiques mais également humaines et religieuses. On se demande même pourquoi il a fallu attendre si longtemps ! Elle serait encore mieux accueillie si elle ouvrait une période nouvelle dans la clarification mémorielle entre la France et l’Algérie. Il est temps en effet de reprendre le fil d’un vrai dialogue dont les bases doivent être rappelées.
La première est que la mémoire n’est pas une prise de guerre. Elle se nourrit principalement de conflits fondateurs mais ne peut passer le cap de la sélection historique que si elle les met au service d’une construction positive. Ce n’est pas encore le cas avec l’Algérie qui, cinquante-huit ans après son indépendance, vit dans une ambivalence totale avec la France. Une ambivalence qui trouve son reflet de l’autre côté de la Méditerranée. La relation est un jeu d’ombres dont les seules lumières sont des propos antagonistes violement assénés ou des retrouvailles circonstancielles sans lendemain véritable. Du moins dans la sphère étatique qui a connu plusieurs nouveaux départs aussi décevants qu’ils s‘avéraient prometteurs : 1962, 1978, 1981, 2000, 2003, d’autres encore. Dans cette pénombre chacun veille sur des intérêts précis parfaitement catalogués depuis 1962. L’économie, l’immigration, quelques coopérations spécifiques qui peuvent varier et parfois même toucher des sujets sensibles. C’est un pacte tacite qui permet l’expression libre de tout le reste. Les avantages en sont évidents en particulier pour l’Algérie, celui du rappel permanent de la légitimité issue de la guerre d’indépendance, ce qui est normal, assorti de la désignation tout aussi permanente d’une France adverse et coupable, ce qui est destructeur.
La seconde est que le dialogue mémoriel entre nations libres ne se développe que dans le respect de l’esprit et de la lettre de leurs souverainetés respectives. Dans la relation mémorielle franco-algérienne, deux éléments sont préoccupants. D’abord la violence du langage algérien incompatible avec une relation apaisée, en tout cas le meilleur moyen d’en retarder l’émergence. D’autre part la gestion algérienne du curseur historique qui au fur et à mesure que les années passent remonte dans le temps. Le paroxysme de 1954-1962, même celui de 1945-1962 si l’on débute par le 8 mai 1945 à Sétif, se décale peu à peu au profit d’une lecture qui incrimine 132 ans d’histoire et qui tend à ramener l’action de la France dans une veine génocidaire aussi infamante que fausse. Accessoirement à donner à un levier politique unilatéral le confort d’une condamnation morale et l’appui de nouvelles argumentations idéologiques. Dans cet esprit toute construction est condamnée d’avance, toute négociation même, avec un préalable pénitentiel d’une telle envergure.
Reste que la vie continue et que la période qui vient de s’ouvrir offre plusieurs opportunités.
D’abord un calendrier spécifique avec en ligne de mire 2022, date du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. C’est aussi la fin progressive d’un cycle générationnel où les mémoires qui s’estompent n’en deviennent que plus acharnées à conserver intact voire à sublimer un passé douloureux. Ces mémoires doivent être servies par des gestes concrets qui ont l’avantage de réduire l’intensité du conflit en multipliant les occasions d’exercer des choix de simple bon sens et de justice rétrospective. Les sujets ne manquent pas : réparations, essais nucléaires, disparus civils et militaires, archives, statut des personnes, symboles historiques. Un champ étendu et complexe.
Ensuite la mise en place d’une méthode de concertation équilibrée. La encore l’esprit dans lequel s’exercerait un dialogue mémoriel est déterminant. Les conclusions du rapport Stora en préparation apporteront ou non la démonstration d’un regard objectif et d’une procédure adéquate pour progresser. Les pétitions de principe ne suffiront plus face à des demandes reconventionnelles ou des préalables pénalisants. Il faut échapper au piège d’une relation condamnée à une sorte de discrétion obligatoire en raison du blocage mémoriel ou, pire encore, qui ne pourrait s’établir dans sa plénitude qu’après une pénitence française.
Sur ce moment spécifique pèse un enjeu puissant, celui de l’avenir de la relation de la France avec l’Afrique du Nord dans son ensemble, avec d’autres pays du Maghreb concernés au premier chef par cet avenir. La mémoire impacte le présent, notamment dans les jeunes générations issues de l’immigration, notamment sur la toile de fond de l’intégrisme et du terrorisme islamique qui y cherche des arguments supplémentaires pour accomplir sa sinistre besogne.
La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie des combats du Maroc et de Tunisie conformément à la mission que lui a confié le législateur et fidèle à l’héritage d’Hamlaoui Mekachera garde en permanence la perspective de mémoires apaisées./.
La Fondation pour la Mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie
Le 26 octobre 2020
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