LES AMANDIERS REFLEURIRONT, La vie d'une adolescente de retour d'Algérie après la guerre, 1962-1972,
Geneviève Font, éditions de l'Onde, 2022. Ce livre a reçu le Prix HISTOIRE-MEMOIRE 2023 de la FM-CAMT
Résumé :
De tous les handicaps possibles, la famille Pons en cumule un nombre important:
Rapatriée d'Algérie, meurtrie dans son âme par la guerre, dépourvue de ressources matérielles...
Elle échoue dans le vignoble bordelais.
Pour cette famille survivre dans leur ferme et alimenter ses nombreux enfants se révèlent être un défi, d'autant qu'elle est menée par un père traumatisé lors de la guerre d'Algérie et qui vit sous l'emprise de l'alcool.
Élisabeth, l'aînée, convie le lecteur à suivre son adolescence comme elle a pu en faire les confidences à son psychanalyste, le Docteur Heymann. C'est une vie d'embûches et de souffrances qu'elle livre, car à l'indigence s'ajoute l'humiliation d'être pauvre. La pauvreté fait honte, l'identité pied-noir, incomprise, doit être refoulée, tout comme les traumatismes qui hante ses nuits.
Pourtant Élisabeth guidée par une force de vie peu commune trouve son énergie au travers de la communion avec la nature qui régénère, soigne, élève, et peut même mener à la grâce.
Cet ouvrage est la suite du premier opus : De cendre et de miel, la vie d'une fillette pendant la guerre d'Algérie
Notre avis :
Sans fard, l'auteur décrit avec justesse et humanité la difficile adaptation d'une famille de rapatriés d'Algérie qui doit s'accomoder avec toutes ses blessures à un environnement qu'elle ne maitrise pas et des conditions de vie nouvelles où la précarité est leur lot. Une belle leçon de résilience car l'espoir reste toujours présent.
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L'auteur :
Géneviève Font est née en Algérie et vient vivre en France au moment de l'exode des Pieds-noirs en 1962. Après une belle carrière de technicienne de laboratoire, d'artiste-peintre et de photographe de voyages, elle selance dans l'écriture sur la thématique de Français d'Algérie. Ce roman est son second après De Cendres et de miel, la vie d'une fillette pendant la guerre d'Algérie (1951-1962) paru en 2020.
EXTRAITS :
Extrait 1 : le départ (chapitre 1)
Ils sont un millier dans ce cas, à avoir atterri, non désirés chez les « patos », pour venir manger le pain des Français !
Leur statut de rapatriés d’Algérie, en fait d’émigrés, a créé une jalousie certaine, chez les métropolitains qui le vivent comme une injustice…
Tous ces pieds-noirs ainsi les a-t-on nommés, sont Français, espagnols, juifs, maltais, italiens ou harkis.
La France, ou plutôt ses habitants n’ont pas imaginé la déchirure que vit ce peuple déplacé, pas uniquement par chois, mais pour échapper aux menaces de mort. La phrase qui illustre l’événement s’intitule : « la valise ou le cercueil ».
Ils se sont éloignés de leur village natal, le cœur gros, en espérant revenir un jour…
Chacun a pris des chemins de traverse ; les uns se sont retrouvés à l’aéroport, les autres au port d’Oran… Tandis qu’Elisabeth, sa mère, ses frères et sœurs sont partis en train pour le Maroc, afin de rejoindre la parentèle maternelle, le père est resté au village, en Algérie.
Une malle en osier, une vieille valise, des baluchons, quelques couvertures légères, font partie de leur paquetage récupéré à la va-vite, dans une urgence envahie d’angoisses.
Les Théodore, leurs voisins et amis, n’ont pas échappé à la règle. Ils se sont expatrié « une main devant, une main derrière », selon l’expression de là-bas ! Ils ont quelques sous, mais si peu pour affronter ce « pays de froid » ; en tout cas, c’est l’image désespérée qui est véhiculé dans leur tête.
Inconfortablement, ils ont attendu de longues heures au port d’Oran, entassés comme du bétail, avec d’autres enfants, des handicapés, des vieillards !...
Ils pleurent en sourdine… les bambins crient de toutes parts…
En ce mois de juin, la chaleur les écrase autant que leur désespoir. Des bouteilles d’eau circulent au milieu des assoiffés complètements anéantis.
Extrait 2 : en classe, en France (chapitre 11)
Aujourd’hui, assise dans sa classe, elle s’imprègne de l’odeur de craie, juste pour reprendre sa respiration, car une inquiétude démesurée l’absorbe tout entière. Elle se demande comment elle va s’y prendre pour rester invisibles.
Sa tenue modeste fait d’elle un épouvantail à oiseaux, avec ses vêtements récupérés, dont un vieux falzar et un pull démodé, ainsi que ses godillots en cuir avec un léger bâillement au bout, qu’elle a réparés soigneusement en tassant du papier journal pour cacher le trou. Tout, en elle, transpire l’humiliation. Elle se sent tellement déphasée par rapport à ses nouveaux camarades de classe ! Elle sait qu’avec son accent écrasé de soleil, elle ne peut passer inaperçue…
Ses deux nattes très serrées encadrent son visage où le sourire s’est évanoui, mais derrière ses lunettes, ses grands yeux bleus pétillent d’espièglerie.
Le professeur principal, madame Tauzin, l’a d’abord présentée, gentiment, comme nouvelle ; ensuite elle l’a placée au fond de la classe. Cela a bien arrangé Elisabeth. C’est alors qu’à l’interclasse, avance sa facilité d’échanger, elle essaie de prendre contact avec ses voisines de bureau. Une de ses copines lui demande : « Es-tu pied-noire ? » Elle acquiesce. La suite interpelle Elisabeth, car la gamine lui demande d’ôter ses chaussures pour voir si ses pieds sont bien noirs. Elisabeth explose de rire ; ainsi débutent ses premières amitiés, à l’école de Créon.
Depuis la cuisine de la cantine, l’odeur des lentilles-saucisse que madame Lacoume a préparées dans de grosses marmites, se faufile sous les narines des enfants. La faim se fait sentir ! L’idée de ce succulent repas chatouille les estomacs des joyeux fripons. Elisabeth sait qu’elle va se régaler, encore plus avec le petit-suisse.
La cantine est vaste, surtout les voix des gamins résonnent joyeusement malgré la surveillance de madame Arnaud, sèche et revêche.
Un jour, la surveillante a égressé verbalement la collégienne au sujet de son tablier (récupéré), qui avait une toucha japonisante, en lui disant : « Ici, on n’est pas en Algérie pour se faire remarquer ! » Elisabeth est partie meurtrie par cette injustice.
Extrait 3 : traumatismes du passé (chapitre 24)
« A l’aube naissante, durant la chasse, dans la petite forêt noyée de brume, je regarde partout autour de nous. L’ombre des chênes, des pins, des châtaigniers, ressemble à des bras prêts à m’agripper et à m’enfermer dans leurs branchages, pour m’engloutir dans une vaste terreur, comme les soldats, là-bas, sur la terre sanglante…
Le bruissement des feuilles m’inquiète, me crispe…. Des pas - de fellaghas sûrement – sont tapis dans l’ombre des orangers. Ils me harcèlent encore et encore, san relâche s, si bien que je frémis au moindre bruit […], je veux me libérer, retrouver une route dénuée de peines et d’agressivité. Je suis fatiguée de cette errance dans la souffrance, je suis lasse de ces perpétuelles images violentes, qui viennent m’emprisonner dans des ressacs d’ignominie. Le théâtre de ma vie me fait horreur !
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