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DECOLONISATION : Les supplétifs dans la guerre d’Indochine
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DECOLONISATION : Les supplétifs dans la guerre d’Indochine

En Indochine comme dans les autres établissements de son empire colonial en constitution, la France n’a pas tardé à faire appel aux autochtones pour participer à la sécurité et à la défense des territoires nouvellement conquis. Dès qu’il se fut emparé de Tourane (Danang) en 1858, au tout début de son intervention contre l’empire d’Annam, l’amiral Rigault de Genouilly lui-même mît sur pieds deux compagnies de partisans. Ceux-ci furent alors recrutés parmi les communautés chrétiennes autrefois fondées dans le voisinage de Tourane par les premiers missionnaires. En 1859, ces mêmes partisans renforceront les troupes débarquées à Saïgon et participeront aux  combats livrés à Chi Hoa, Mytho ou Baria. Avec l’extension progressive de la conquête seront bientôt créées les milices de Cochinchine, forces locales de police qui appuieront l’action des premiers administrateurs, ces officiers des affaires indigènes chargés d’achever la pacification. En 1879, la sélection opérée parmi les milices de Cochinchine permettra la création progressive du régiment de Tirailleurs annamites, première  unité régulière autochtone de cette importance formée sur le territoire. Cependant, en 1863, la France de Napoléon III hésite encore à s’engager dans un véritable processus de colonisation de la Cochinchine que certains préconisent d’abandonner purement et simplement. L’amiral de La Grandière,   nouveau gouverneur de Cochinchine, prend alors la défense de ce qui n’est encore qu’un embryon de colonie. Evaluant les sacrifices déjà consentis et mesurant la responsabilité de la France vis-à-vis des populations locales qui se sont rangées à ses côtés, il s’oppose à toute idée d’abandon et écrit : Le sang des victimes rejaillira sur ceux qui les auront trahies, et je ne resterai pas spectateur impassible des atrocités qui vont être la conséquence de notre abandon.[1] La phrase est évidemment lourde de sens quand on sait ce qu’il adviendra près d’un siècle plus tard non seulement en Indochine mais aussi en Algérie. Pour l’heure, les partisans, que l’on nommera plus tard supplétifs, vont jouer un rôle non négligeable dans l’histoire de l’Indochine française. Leur concours se révèlera notamment déterminant dans les campagnes de pacification de la Haute-Région tonkinoise. Durant la guerre d’Indochine (1946-1954), ils prennent une part active aux opérations de pacification, de contrôle de zone et même aux combats les plus durs qui opposent le corps expéditionnaire français au corps de bataille vietminh.

L’histoire des supplétifs en Indochine nous est accessible à travers la masse de documents que renferme sur ce sujet le service historique de la Défense. Ces papiers, parmi lesquels figurent notamment les archives de l’Inspection des forces supplétives, représentent à eux seuls un volume d’environ cent cinquante cartons. Ce fonds a été en particulier exploité par Michel Bodin dans ses recherches sur les combattants du corps expéditionnaire[2]. Il faut signaler aussi plusieurs ouvrages apportant le témoignage d’officiers ayant eu l’occasion de commander des troupes supplétives en Indochine.[3] Durant cette guerre, l’emploi de troupes supplétives se caractérise en premier lieu par l’ampleur des effectifs recrutés. Au-delà, et à l’image de ce conflit qui demeure lui-même fort complexe, les supplétifs indochinois se distinguent  par la diversité de leurs origines et par la multiplicité des tâches qui ont pu leur être confiées,  toutes choses qui doivent conduire à approfondir l’analyse et à nuancer le jugement quant à leur rendement et à leur efficacité.

Mis en application dans les mois qui suivent l’arrivée en Indochine des troupes du général Leclerc, ces dernières débarquant à Saïgon à compter de septembre 1945, le recrutement de supplétifs répond d’abord à des considérations classiques : il s’agit avant tout d’accroitre rapidement le volume des forces engagées en réalisant l’opération à moindre coût. Dans la France de l’immédiat après-guerre en effet, ce n’est qu’à travers les pires difficultés, morales et matérielles, qu’ont pu être rassemblées et acheminées les troupes devant constituer les forces terrestres d’Extrême-Orient (FTEO), environ 60 000 hommes au printemps de 1946. Sur un territoire aussi vaste et dans le chaos révolutionnaire que connait alors l’Indochine, ces forces paraissent vite insuffisantes, d’autant plus que les effectifs sont affectés par un taux de pertes élevé dû autant aux combats qu’aux maladies tropicales. Le supplétif apparait alors comme la solution incontournable : il est relativement aisé de trouver des volontaires demandant à être armés pour contribuer à la défense de leur communauté ; le partisan travaille comme un journalier et peut être licencié à tout moment ce qui minimise le coût consacré à son entretien ; évoluant sur son sol, il est par définition rustique et demeure plus à même de supporter les contraintes dues à la géographie et au climat ; il constitue enfin un intermédiaire utile dans les rapports des forces régulières avec la population locale dont lui-même est issu. Ces différentes considérations conduisent à recruter, en 1946, près de 16 000 supplétifs. Or ce chiffre, déjà conséquent, sera porté à tripler dans les années suivantes, contribuant au phénomène de « jaunissement » du corps expéditionnaire. Cette multiplication des forces supplétives sur l’ensemble du territoire indochinois est essentiellement due au caractère révolutionnaire du conflit. En effet, dans ce contexte de « guerre sans front », aussi dénommée « guerre dans l’espace », le Viêt Minh peut intervenir en tout point et à tout moment ce qui rend la menace omniprésente. Il devient donc nécessaire de démultiplier les forces pour tout garder et tout protéger : les villages, les points sensibles, les axes de communication. Face au corps de bataille VM dont les forces s’accroissent d’année en année, il demeure par ailleurs indispensable de constituer parallèlement un volume suffisant de troupes mobiles d’intervention. Que ce soit dans ces missions statiques ou dynamiques, les forces supplétives permettront de combler pour une part le déficit chronique en combattants. Mais la guerre révolutionnaire est aussi la guerre dont le peuple devient l’enjeu. A ce titre, les supplétifs prennent une nouvelle importance sur le plan politique. Par leur engagement auprès des forces de l’Union Française, ils font échec à la propagande VM et constituent un bon instrument pour inciter les populations villageoises à reprendre confiance. Sur le plan opérationnel, ils apportent leur souplesse d’emploi et leurs facultés propres dans la connaissance de la population et l’acquisition du renseignement. Ces différentes raisons expliquent que le volume des forces supplétives dépassera  50 000 hommes à partir de 1951, volume à peu près égal à celui des soldats autochtones réguliers au sein du corps expéditionnaire. A compter de cette date, ce chiffre restera relativement stable en ce qui concerne les FTEO ; il ira en décroissant à partir de 1953 car, dans le même temps, la jeune armée vietnamienne en cours de constitution absorbera une part des volontaires indochinois à titre de supplétifs ou de réguliers.

Les études portant sur les supplétifs en Indochine se heurtent en premier lieu à un problème de dénomination. Au début du conflit, les irréguliers autochtones sont globalement désignés sous le terme de « partisans ». Mais peu à peu, dans les documents officiels, l’appellation de «  supplétifs » se généralise sans qu’il soit toujours aisé d’établir la distinction entre les deux termes. Dans l’esprit des combattants cependant, le partisan demeure celui qui apparait comme le plus proche d’un civil armé, attaché à la défense de son village ou de sa rizière et agissant avec une certaine autonomie. Mieux armé et instruit, le supplétif appartient le plus souvent à une formation qui apporte son concours à une unité régulière. A ce titre, le supplétif pourrait apparaitre comme l’intermédiaire entre le partisan et le régulier. C’est ainsi que les autochtones des maquis constitués à partir de 1951 par le Groupement de commandos mixtes aéroportés (GCMA) porteront toujours le titre de partisans. En revanche, les anciennes compagnies légères de partisans (CLP) qui, en 1947, accompagnaient le 1er bataillon Thaï (BT1) dans la reconquête de la rive droite du fleuve Rouge deviendront par la suite des compagnies légères de supplétifs militaires (CLSM). En 1952 par exemple, le BT2 dispose de sept CLSM rattachées à ses compagnies régulières. Outre ces questions de dénomination, toute recherche sur les supplétifs indochinois doit prendre en compte l’extrême diversité des recrutements et des emplois. Par de là les différences  de race, de culture et de mentalité qui peuvent exister entre Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens, les supplétifs sont aussi recrutés parmi les nombreuses ethnies montagnardes, les sectes confessionnelles du Sud ou les communautés catholiques. Quoi de commun par ailleurs entre un supplétif appartenant à un commando  du Tonkin et celui qui participe à la protection d’une plantation d’hévéas en Cochinchine ? Apparaitront ainsi en Indochine différentes catégories de supplétifs :

Les supplétifs travaillant au profit de l’administration civile ou des grandes sociétés privées, plantations ou mines. Ces hommes sont rémunérés par leur employeur mais armés et encadrés par les FTEO. Ces forces paramilitaires englobent aussi les gardes nationales, les milices ou gardes auxiliaires provinciales, la garde des voies ferrées et les autodéfenses.

Les supplétifs que l’on pourrait qualifier d’« ordinaires », la plupart d’origine « annamite » et composant la majorité des compagnies de supplétifs militaires (CSM), un grand nombre étant rattachées à une unité régulière.

Les supplétifs appartenant aux commandos, généralement les mieux instruits, armés et rétribués. Il peut sembler paradoxal que de simples supplétifs puissent appartenir à de telles unités. Cependant, la sélection et le recrutement d’anciens Viêt Minh ralliés pouvaient donner d’excellents résultats comme l’a démontré le commando Vandenberghe.

Les supplétifs des groupements  confessionnels, plus particulièrement représentés dans le Sud : unités des sectes Caodaïste ou Hoa Hao, unités mobiles de défense de la Chrétienté (UMDC) de J. Leroy ; peuvent y être rattachées les milices Binh Xuyen.

En 1946, le recrutement et l’emploi de ceux qu’on nomme encore les partisans relèvent entièrement des chefs de secteurs ou de sous-secteurs. Le statut de ces combattants locaux n’est pas encore clairement défini et fait l’objet d’applications très diverses. Leur rémunération est prise initialement sur le budget de la France d’outre-mer (FOM). Cette rémunération restera très modique : en 1950, un supplétif reçoit une solde de 250 piastres alors qu’un régulier autochtone perçoit 410 piastres et un soldat français 586[4]. A la solde, peuvent s’ajouter certaines primes, le montant de celles-ci s’avérant très variable en fonction des ressources du commandement local. Ces primes concernent généralement l’entretien courant et l’alimentation, les résultats obtenus en opération, la qualification pour ceux qui exercent une responsabilité de petit gradé. Le supplétif étant censé être employé à proximité de son village, une prime peut aussi venir compenser un éloignement temporaire pour opération. En cas de prise sur l’adversaire et notamment lors ce qu’il s’agit de vivres, le supplétif reçoit sa part du butin. Théoriquement, l’habillement d’un combattant irrégulier n’est pas pris en compte. Cependant, malgré la pauvreté de ses moyens, l’intendance parvient parfois à fournir des effets usagés ou un paquetage minimum comprenant short, chemisette, chapeau de brousse et paire de sandales. En matière de logement et par mesure de sécurité, les supplétifs sont souvent regroupés avec leur famille à proximité d’un poste dans une enceinte désignée comme le «  poste des partisans » ou le « camp des mariés ». A partir de 1948, la création d’une Inspection des forces supplétives, peu à peu représentée dans chaque territoire, permet d’améliorer le rendement de ces forces irrégulières en rationalisant leur gestion et en définissant avec plus de précision les règles de recrutement, de formation et d’emploi. Le statut du supplétif s’en trouve valorisé : augmentation des primes, amélioration de l’armement et de l’habillement, aide accrue aux familles en matière d’alimentation, de soins médicaux et indemnités plus conséquentes en cas de blessure ou de décès. Sur le plan de l’organisation et en dehors des groupements confessionnels, le commandement généralise, à compter de 1951, la mise en place des CSM ou CLSM : ces petites unités comptent une centaine d’hommes, l’encadrement étant assuré en théorie par un officier, huit sous-officiers et neuf caporaux. L’effectif est réparti en quatre sections, l’élément de commandement se réduisant au commandant de compagnie et à ses deux radios. Outre l’armement individuel, l’unité ne dispose que de quatre fusils mitrailleurs et de huit lance-grenades. Ainsi conçue et comme le relate le rapport du général Ely[5] : « La CSM était une formation très légère, apte à suppléer la troupe régulière dans certaines missions mais surtout à la compléter. Son rendement maximum était obtenu quand on réalisait l’adaptation d’une CSM à un bataillon, et ce dosage a toujours donné satisfaction. »

Si la CSM parait être la structure la plus appropriée, le rendement et l’efficacité des supplétifs tiennent à bien d’autres paramètres parmi lesquels nous évoquerons l’état moral des combattants, la valeur de l’encadrement et la nature des missions. En 1951, commandant la 40° CLSM à Muong Lam, en Pays Thaï, Alexandre Le Merre décrit ainsi l’état d’esprit de ses supplétifs : …à l’usage ils se révélèrent tous fidèles, gentiment disciplinés et très fiers d’être des « partisans »…ils étaient tout contents d’échapper aux corvées et impôts du villageois moyen et à la tutelle des notables locaux…Aucun sentiment politique, sinon la haine du Viet venu porter la guerre et ses désolations chez eux…[6] Cependant, dans certaines zones mal contrôlées ou en cas de revers subis par les forces de l’Union Française, la propagande VM peut agir fortement sur les autochtones qui craignent particulièrement les représailles pouvant s’exercer à l’encontre de leur famille. Tel n’est pas le cas en revanche parmi les groupements confessionnels chez qui l’organisation communautaire et les convictions religieuses constituent un rempart efficace face à la propagande communiste. Mais l’état du moral tient aussi pour beaucoup à la valeur de l’encadrement. Or, qu’il s’agisse d’Européens ou d’autochtones, l’encadrement des supplétifs se révèle de valeur très inégale, notamment à l’échelon des sous-officiers et des spécialistes. Il est vrai que les CSM n’ont jamais bénéficié d’une priorité en matière d’affectations. Cette médiocrité de l’encadrement est souvent évoquée comme dans le rapport Ely : Ces unités auraient dû recevoir un encadrement de choix, militairement bien instruit, d’un moral élevé et connaissant les us et coutumes des régions où ils étaient appelés à circuler ; trop souvent l’encadrement des compagnies de supplétifs comprenait des éléments surtout préoccupés de vivre sur le pays et de se procurer des satisfactions matérielles personnelles…[7] En ce qui concerne enfin l’emploi, il est évident que les supplétifs doivent recevoir des missions à la mesure de leurs capacités. Si plusieurs témoignages indiquent qu’il est peu recommandé de leur confier des missions trop statiques, ils rendent cependant de grands services en occupant des tours de garde et un certain nombre de postes. Il est éxact toutefois qu’en cas d’attaque, ils demeurent peu aptes à la défense ferme et doivent être rapidement renforcés. Leur légèreté et leur rusticité sont en revanche des atouts dans les opérations de contre-guérilla face à des unités VM locales ou régionales. Ils se révèlent particulièrement efficaces dans la fouille des villages, dans certaines missions de reconnaissance ou dans les manœuvres de débordement. Certes, lorsqu’il est insuffisamment encadré, mal commandé et incorrectement employé ou lors ce que ses obligations familiales le réclament auprès des siens, le supplétif est sujet aux abandons de poste. Parfois même il peut être poussé à trahir. Parmi les groupements confessionnels d’autre part, des rivalités internes ont pu causer des défections. Il n’en demeure pas moins que les unités supplétives ont rendu en Indochine des services appréciés pour un coût des plus réduit. Ce commentaire d’un officier résume bien le bilan de leur action : Nos compagnies de supplétifs répondaient parfaitement à l’idée que certains avaient sur la physionomie des combats d’Indochine. Unités légères et très fluides, composées d’hommes connaissant parfaitement la ruse, la tactique ennemie et le terrain, elles rendaient de précieux services quoique leur efficacité ait été influencée par l’insuffisance de l’encadrement et de l’instruction.[8]

Si certains de ces supplétifs ont pu trahir, la France, malheureusement les trahira à son tour en abandonnant nombre d’entre eux à leur sort. Le drame se noue dès les premières années du conflit dans les zones où l’insuffisance des effectifs ne permet pas d’assurer la sécurité de la population. Le général de Latour relate ainsi les propos que lui a tenu un notable lors d’une tournée d’inspection en 1948 : …Les troupes sont déjà venues ici il y a maintenant près de trois ans et des conseils communaux ont été élus, puis les troupes sont parties et les notables ont été égorgés. Nous n’avons aucune envie de recommencer cette expérience. Il faut vous décider, allez-vous partir ou rester ?[9] Le premier abandon à grande échelle dont seront victimes de nombreux partisans se produit en 1950, lorsque le général Carpentier décide de replier les garnisons de la frontière de Chine et d’abandonner Cao Bang. Le témoignage poignant qu’en a laissé le commandant de Saint Marc, ancien chef des partisans de Talung, est bien connu[10]. Il n’est malheureusement pas le seul à avoir vécu cette expérience. Commandant à la même époque le secteur de Hoang Su Phi, dans le haut Song Chay, et recevant l’ordre de se replier sur Lao Kay, le capitaine de Bazin répond par ce message : Estime que repli…serait du point de vue moral assez ignoble. Vous demande donc respectueusement de considérer ce TO comme l’expression de notre volonté de lier jusqu’au bout notre sort à celui des gens qui nous ont fait confiance.[11] Adressé cinq jours plus tard, le message suivant reflète les mêmes sentiments : Tous les notables et  militaires autochtones de HSP rassemblés chez moi…demandent une fois de plus que vous reportiez cet ordre qui va livrer aux Viêts 30 000 habitants fidèles à la France.[12] En l’occurrence, ce n’est qu’avec l’aide des communistes chinois et au terme de plusieurs années de lutte que le VM parviendra à briser définitivement la résistance entretenue par les partisans du Song Chay[13]. Le second abandon, de plus grande ampleur encore, surviendra à l’issue des accords de Genève quand les forces franco-vietnamiennes évacueront le Tonkin. Qu’est-il alors advenu de tous ces partisans et supplétifs ? Certains, avec ou sans famille, ont pu accompagner les troupes dans leur repli et ont été installés en Cochinchine. D’autres grossiront la masse des boat-people  fuyant le régime communiste du Vietnam du Nord. Quelques-uns réussiront à passer au Laos. Les autres subiront les représailles exercées par les vainqueurs à moins que, préférant basculer du côté de la force, ils ne finissent par rejoindre les rangs du VM.

En représentant un volume d’environ 23% des effectifs du corps expéditionnaire, les supplétifs ont donc apporté une très large contribution à la guerre d’Indochine. Lorsque celle-ci se termine, ces supplétifs sont d’ailleurs aussi nombreux dans la jeune armée vietnamienne qu’au sein des FTEO. Cette présence massive d’irréguliers autochtones n’est qu’une conséquence logique du caractère révolutionnaire de ce conflit qui, au-delà de son aspect de guerre de décolonisation, fut aussi une véritable guerre civile. Dans ce contexte, les supplétifs représentent d’autant plus le peuple en armes. En Indochine, malgré les faiblesses inhérentes à leur état d’irréguliers et pour peu qu’ils aient été employés à bon escient, leur action a permis dans une large mesure de répondre aux attentes du commandement. Dans cette guerre dont la physionomie a fait la part belle aux lieutenants et aux capitaines, les jeunes officiers qui ont eu à commander des supplétifs ou des partisans ont su créer des liens étroits avec leurs hommes. Ils en auront tiré une très riche expérience, malheureusement assombrie par l’amertume de la défaite et par la honte d’avoir dû abandonner ceux qui avaient placé leur confiance en eux. De quel poids pèseront ces souvenirs à l’aube de la guerre d’Algérie ? Mais l’Algérie n’est pas une colonie ; « l’Algérie, c’est la France », comme le proclament nombre d’hommes politiques en 1954 !

Lieutenant-colonel (ER) Michel DAVID
Docteur en Histoire, ancien chef du département Histoire-Géographie aux Ecoles de Coëtquidan

Texte de l'intervention faite au Colloque  : Les Harkis, des mémoires à l'histoire, organisé par la FMGACMT les 29 et 30 septembre 2013.

Notes : 

[1] Cité par Philippe Héduy, Histoire de l’Indochine, la perle de l’Empire, Albin Michel, 1998, p.165.

[2] Michel Bodin, La France et ses soldats, Indochine, 1945-1954, L’Harmattan, 1996, 286 p.

[3] Dont le livre d’Alexandre Le Merre, Lieutenant en Pays Thaï, Indo Editions, 203 p.

[4] Général Gérin-Roze La vietnamisation : la participation des autochtones à la guerre d’Indochine in « L’armée française dans la guerre d’Indochine », Editions Complexe, 2000, p 140.

[5] Général Ely, Les enseignements de la guerre d’Indochine, SHD, tome 1, p 182.

[6] A. Le Merre, op cit p. 44

[7] Général Ely, op cit, p. 183

[8] Général Ely, op cit, p. 183

[9] Propos retranscrits par le général Yves Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Denoël, 1992, p. 252.

[10] Hélie de Saint Marc, Mémoires.  Les Champs de braises, Perrin, 1995, 332 p.

[11] Télégramme officiel n° 843 du 21 septembre 1950. Fonds privé Général Boone.

[12] TO n° 869 du 26 septembre 1950. Fonds Gen. Boone.

[13] M. David, Guerre secrète en Indochine ; les maquis autochtones face au Vietminh, Lavauzelle, 2002, 426 p.

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