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HARKIS : Entretien avec le général Maurice FAIVRE et son épouse Monique. Une vie auprès des Harkis.
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HARKIS : Entretien avec le général Maurice FAIVRE et son épouse Monique. Une vie auprès des Harkis.

Cet entretien a été réalisé par Paul Malmassari et Patrick Audoin pour la FM-GACMT le 28 mai 2018.

Bonjour mon général, vous avez participé aux « événements d’Algérie » au cours de deux séjours successifs. Pouvez-vous définir brièvement les caractéristiques générales de chacun d’entre eux ?

Maurice Faivre : Je voudrais d’abord rapidement dire un mot des origines de ma carrière militaire. J’appartiens à une famille du Haut-Doubs, de Morteau exactement, une petite ville de montagne dans le haut du département du Doubs à la frontière suisse. C’était une famille très patriote. Deux oncles ont été tués à la guerre de 14. Mon père a été mobilisé en 1917. Il a ainsi terminé la Première guerre mondiale et s’est réengagé en 1939, ce qui prouve notre engagement indéfectible à la Patrie française.

J’ai été très choqué par la défaite de 1940. C’est là que se situe l’origine de ma carrière militaire. A Belfort pour ma dernière année de « Maths élém », j’avais comme aumônier des scouts routiers, l’abbé Dufay qui était commandant FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) de Belfort. Il est mort au combat en 1944. Mon goût pour le scoutisme m’a aussi donné celui du commandement et l’esprit d’équipe.

Vous aviez décidé dès le début que vous seriez militaire ?

Je l’ai décidé pendant la guerre de 1939-45 après la défaite. J’ai alors pensé qu’il nous fallait une revanche, qu’il nous fallait nous relever. J’ai préparé Saint-Cyr où j’ai été reçu brillamment. J’ai choisi l’arme blindée-cavalerie. Après Saumur, ma première garnison fut Oujda au Maroc au Régiment Etranger de Cavalerie (REC).

C’est là où j’ai connu mon épouse Monique. Nous nous sommes mariés et j’ai fait la connaissance de sa famille, ce qui m’a aussi permis d’acquérir une connaissance générale de l’histoire du Maroc mais nous en reparlerons tout à l’heure. Mon beau-père était officier en retraite et sa fille allait aux réunions du 2ème REC où nous nous sommes rencontrés au cours de soirées de danse. Nous nous sommes mariés quelques temps plus tard.

Ce fut donc mon premier séjour au Maroc dans des conditions particulières puisqu’il s’agissait de la Légion Etrangère. A la suite d’un accident de sport, j’ai été en congé pendant deux ans.

Je suis revenu au service en 1953 au 8e Hussards qui se trouvait à Épernay et qui est parti en Algérie en août 1955. Nous sommes arrivés à Constantine le 22 août c’est à dire deux jours après le grand massacre qui avait eu lieu dans le Constantinois.

J’étais chef de peloton puis ensuite commandant en second (j’étais lieutenant) avant d’obtenir le commandement d’un escadron qui était d’abord stationné à Constantine. C’est une histoire intéressante car j’avais comme patron à Constantine le colonel Gribius qui sera général ensuite. C’était une personnalité qui était le chef du 3ème Bureau du général Leclerc pendant la Deuxième guerre mondiale. Il m’avait confié une mission très particulière qui était déjà de l’action psychologique. Il avait eu l’idée de supprimer les bidonvilles de Constantine et de construire un village à l’extérieur de la ville pour reloger tous ces gens des banlieues. Un de mes officiers allait quotidiennement chercher les gens de Constantine et les amenaient dans ce village pour exécuter les travaux. Je ne sais d’ailleurs pas ce qu’est devenu ce village, s’il a été conservé car je n’ai pas eu de nouvelles.

Nous escadron a ensuite été transféré au Khroubs, une petite ville à 20 kilomètres au sud de Constantine qui était un gros marché agricole. J’étais commandant d’un sous-quartier, c’est à dire une population assez importante. La ville du Khroubs qui était déjà assez peuplée et beaucoup de villages autour où résidaient beaucoup de militaires.

C’est là où j’ai eu l’occasion d’organiser mon seul combat au cours de la guerre d’Algérie. Nous étions très actifs, sans arrêt en patrouille dans le djebel. Nous cherchions beaucoup mais nous ne « tombions » jamais sur rien ! Un jour d’octobre 1957, j’avais monté une opération dans le djebel Ouash, une forêt qui se trouve à 10 kilomètres de Constantine. Avec huit pelotons de diverses unités, j’avais donc monté une petite opération pour fouiller les pentes de ce djebel Ouash et de ratisser. Nous avons eu la chance de tomber sur un Bordj qui était sur la pente de cette montagne et à l’intérieur duquel se trouvait une Katiba. C’était une Katiba complète qui s’est évidement tout de suite défendue et a tué un lieutenant qui tentait de s’approcher. Nos appelés n’étaient pas très opérationnels, ils ne savaient pas faire la guerre, donc très souvent c’étaient les officiers et les sous-officiers qui étaient en tête. Un maréchal des Logis a également été tué. J’ai pu faire intervenir immédiatement l’Aviation. Un Piper de surveillance avait localisé la bande qui a tenté de s’enfuir vers le nord. J’ai donc pu bénéficier de l’appui de deux avions North American T6G qui venaient de la base aérienne de Oued Hamimin à côté du Khroubs mais malheureusement ces deux appareils se sont crashé. Un capitaine d’aviation qui a été tué. Que s’est-il passé ? Ont-ils été touchés par les tirs de la Katiba ou bien sont-ils descendus trop bas en prenant des risques ? Le relief était accidenté avec des rochers. Toujours est-il que deux T6 ont été au tapis ! Nous étions le 17 octobre 1957. Grâce à l’aviation nous avons donc démoli cette Katiba qui a perdu beaucoup de gens.

A ce moment-là le colonel Gribius qui commandait le secteur de Constantine a décidé de mettre un bouclage au sud dans la mesure où, pour moi, il n’y avait pas eu de bouclage et les Fellaghas pouvaient s’échapper. Le bouclage a été mis en place trop tard mais la bande a tout de même été récupérée par un autre secteur sur la route de Philippeville (Skikda). Le résultat a donc été positif puisque la Katiba a été nettoyée et nous avons récupéré trois fusils-mitrailleurs qui étaient les trois armes de cette unité.

Quelle était la situation globale à ce moment-là ?

Le plan Challe n’était pas encore arrivé dans le Constantinois. Il commençait seulement à être appliqué en Oranie et donc les Fellaghas étaient encore très actifs. Ils passaient la frontière sans trop de difficultés car le barrage n’était pas complètement terminé, il y avait donc pas mal de problèmes.

Vous sentiez-vous directement menacés ?

Non, nous n’étions pas menacés. C’est plutôt nous qui menacions les Fellaghas !

Quelles relations aviez-vous avec la population ?

J’avais de bonnes relations au Khroubs avec la population. L’Imam de la mosquée m’invitait à dîner. J’étais reçu régulièrement. Je leur ai d’ailleurs remis le cadavre du chef de la Katiba, le lendemain, pour qu’ils puissent l’enterrer.

Ce fut ainsi mon premier séjour en Algérie où j’ai donc fait la guerre pendant vingt-quatre heures !

Quelle était votre activité quotidienne au cours de ce premier séjour ?

C’était une action de recherche, d’organisation de patrouilles dans toute la région. Cette une région assez difficile au caractère montagneux couverte de forêts. C’était intéressant car j’avais aussi d’excellentes relations avec les maires des petites communes environnantes. Je leur avais donné des ouvriers pour construire des mechtas.

C’était donc mon premier séjour entre 1955 et 1957.

Avant mon deuxième séjour, j’ai été envoyé à Saumur pour faire un stage de capitaine puis prendre le commandement d’un escadron de Chasseurs d’Afrique en Allemagne sur le lac de Constance et, en 1961, j’ai été réaffecté en Algérie.

J’ai été affecté au 20ème Régiment de Dragons qui se trouvait en petite Kabylie dans la région de Kherrata. J’étais responsable d’un sous-secteur, d’un sous-quartier qui se trouvait en gros entre Sétif et Djidjelli. La région est dominée par une haute montagne qui s’appelle le Djebel Babor qui culmine à 2000 mètres. Les opérations Challe étaient passées et il n’y avait plus de Fellaghas dans le coin. Il restait cependant un commissaire politique que je n’ai jamais retrouvé. Je connaissais son village mais nous n’avons jamais réussi à mettre la main sur lui.

Mon action a été une action de Pacification. J’avais trois villages dans lesquels j’avais réparti mes pelotons de Dragons et dans chacun de ces villages j’avais un peloton de Harkis. Quand je suis arrivé j’avais 60 Harkis répartis dans ces villages. Dans chaque village, j’avais un Dragon qui faisait la classe, une infirmerie qui soignait les gens… C’était vraiment de la Pacification d’autant plus que j’ai fait faire une stage médico-social à mon épouse qui m’a rejoint et allait dans les villages sur un bourricot s’occuper des femmes et des enfants, faire des piqures etc…

Sur ce plan le séjour fut très intéressant malheureusement, il y a eu des réorganisations en 1961 et mon régiment a été dissous. Je me suis trouvé affecté à un Régiment de Chasseurs qui était à Sétif. Ils sont venus me voir dans le djebel où j’étais installé. L’Oued Berd, « la rivière du froid » et le Djebel Babor constituaient mon terrain de chasse. Ce Régiment m’a retiré de mon bled et j’ai perdu le contact avec la population Harki. J’étais très déboussolé et j’ai demandé ma mutation.

J’avais un camarade qui était à Alger, à l’état-major du commandant en chef, et j’ai été muté au 2ème Bureau qui n’était plus à Alger mais à La Réghaïa, une petite station près de cette ville. Pendant toute l’année 1962, j’ai été responsable du renseignement sur les Fellaghas en Algérie. Nous avions un 2ème Bureau très étoffé mais les uns s’occupaient des Fellaghas intérieurs, d’autres des Fellaghas extérieurs, d’autres de la population. Ce fut un travail très intéressant qui fut la suite de mes activités sur le renseignement. Il faut bien savoir que dès le début de la carrière à Oujda au 2ème REC j’ai été officier de renseignement du Régiment. Je l’ai été durant toute ma carrière. Officier de renseignement à l’époque c’était un officier qui se tenait au courant de l’organisation de l’armée soviétique et de ses méthodes. Pendant des années c’était donc mon travail.

Quand, ensuite, j’ai été reçu à l’Ecole de Guerre, j’ai été affecté à l’Etat-major des Armées à la Division Renseignement et à partir de ce moment-là ma deuxième carrière a été orienté vers le Renseignement contre l’Union Soviétique. Il y a eu plusieurs étapes. Dans un premier temps, j’ai été affecté au 1er Hussards. Jusqu’alors, je n’étais pas parachutiste. J’ai fait mon premier saut à l’âge de 44 ans ! Cela m’a permis d’être commandant en second du 1er Hussards à Tarbes puis étant affecté à l’Etat-major du général de Boissieu, le gendre du général de Gaulle, j’ai pu obtenir le commandement du 13ème Régiment de Dragons parachutistes qui était à Dieuze. La mission était de faire du renseignement sur les arrières ennemis au cas où les Soviétiques auraient attaqué en Allemagne. J’ai été ensuite chef du 2ème Bureau à Baden-Baden en Allemagne puis chef du 2ème bureau à la 1ère Armée à Strasbourg. Pendant toute cette période, ma mission était le renseignement sur l’armée soviétique.

Comment cela se passait-il pratiquement ?

Nous avions des contacts avec les 2èmes Bureaux américain, allemand, britannique. J’avais sous mes ordres la mission de Potsdam qui faisait de l’espionnage sur l’Allemagne de l’Est et l’attaché militaire à Prague qui faisait le même travail en Tchécoslovaquie. Nous avions aussi cinq ou six centres d’écoute-radio avec une chaîne de goniométrie qui permettait de localiser toutes les unités soviétiques minute par minute.

Nous étions en pleine période de guerre froide.

C’était en effet la guerre froide, je vous en reparlerai tout à l’heure car c’est la période dont je m’occupe actuellement.

Y avait-il une présence soviétique en Algérie ?

Non, je n’en ai pas connu. Ce qui était intéressant pendant la guerre froide c’est que nous avions comme ennemi le commandant en chef soviétique à Berlin qui avait pris place dans l’ancien PC d’Hitler (Wunsdorf). Tous les ans, les commandants en chef se rencontraient. Une année nous allions chez eux et l’année suivante ils venaient à Baden-Baden.

C’était vraiment la guerre froide et les commandants en chef se rencontraient !

Là vous avez un certain nombre de fanions des escadrons que j’ai commandé : du Régiment du 13ème Dragons et des escadrons du 13ème dragons.

Je vais en arriver à l’histoire des harkis. Comme je vous l’ai dit, j’ai été obligé d’abandonner mes Harkis en 1961 et je n’en avais plus de nouvelles. Je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus. Fin 1963, alors que j’étais à Paris, je reçois un coup de téléphone de la Préfecture de Police qui me signale que des Harkis me réclament à Choisy-le-roi. Je suis allé les voir. Ils étaient logés dans des conditions épouvantables (des caves), ils étaient rejetés par la municipalité communiste et par le FLN (Front de Libération National algérien) qui régnait en maître là. ILs n’ont raconté leur histoire et, en particulier, le fait qu’en août 1962, la moitié de leurs frères et de leurs cousins avaient été massacrés par le FLN. Il restait là une trentaine de survivants qui avaient réussi à s’exfiltrer d’Algérie par des combines de famille. C’était ma bonne action avec Monique, nous allions visiter les Harkis à Choisy-le-roi.

Un jour de 1964, le maire de Dreux dans l’Eure fait savoir qu’il y avait sur place du travail et des logements et qu’il était prêt à accueillir des Harkis. Le jour de Noël 1963 j’ai mis tous les harkis dans un autobus pour les emmener à Dreux où ils ont été logés dans de petites maison. Ils étaient encore célibataires, il fallait donc rapatrier les familles. Il n’y avait plus de troupes françaises dans cette région. Ils ont trouvé la combine : je rédigeais les demandes de rapatriement et ils avaient un de leurs cousins qui était plutôt Fellagha qui allait trouvèrent Algérie l’épicier de Kherrata en lui demandant de lui prêter son camion pour d’emménager sa famille. Il chargeait ainsi dix familles dans le camion pour les amener à Bougie (Béjaïa) à 100 kilomètres de là où il y avait encore une garnison française. Ces familles qui n’avaient jamais vu la mer étaient chargées à Bougie dans des hélicoptères et déposés sur un navire de guerre qui était au large ! Vous voyez l’aventure que cela constituait pour ces familles !

Il a fallu ensuite organiser trois ou quatre voyages supplémentaires. Bougie ayant été évacuée, il fallait amener les familles à Tipaza près d’Alger. Nous avons pu ainsi rapatrier 52 familles. Nous avons cependant dû abandonner les familles des Harkis qui avaient été tués car il n’y avait plus de liaisons avec eux, d’autant plus que certaines femmes avaient été prises en main par des Fellagha et mariées de force. Certaines familles avaient aussi prises en main par le commissaire politique qui était réapparu en 1962. Ce fut très pénible pour elles.

Ils ont reconstitué leur village à Deux. Il y a eu de très bonnes années. Les familles étaient toutes logées, d’abord dans de petites barriques puis dans un bâtiment de la Sonacotra qui a été mis à leur disposition. Les enfants ont été scolarisés et les femmes ont eu accès aux maternités. Elle n’avait jamais connu çà et se sont mises à faire des enfants. Elles ont fait, en moyenne, neuf enfants et demi par femme ! Avec des familles de onze, douze ou quatorze enfants ! Nous sommes toujours en relation avec eux. Ils nous invitent pour des mariages ou d’autres événements ou je les invite à venir nous voir ici. Un enfant de Harki qui est resté en Algérie et est plutôt FLN (il a fait l’armée algérienne) m’appelle son grand-père !

Il y a quinze jours la femme d’un de ces harkis est décédée. J’ai reçu un coup de téléphone d’une de ses filles qui m’a dit que sa mère nous aimait beaucoup et que c’était grâce à nous qu’ils étaient Français.

Qu’elles étaient vos relations avec les Kabyles ?

Je ne parlais ni l’Arabe ni le Kabyle, il fallait donc un interprète mais petit à petit les Harkis se sont mis à parler français. Les Harkis étaient tous Kabyles. Fin 1961, un village important s’est rallié. J’ai constitué un autre peloton de Harkis. A ce moment-là j’avais 80 Harkis. Ils étaient considérés par le Secteur comme une unité d’intervention. Chaque fois qu’une opération était déclenchée, c’étaient mes Harkis qui étaient demandés. Nous allions faire des opérations à Périgotville, à Kherrata ou dans d’autres lieux. Ils étaient très opérationnels et connaissaient parfaitement le terrain. Avec un peu de formation militaire on arrivait à en faire de bons combattants qui étaient plus efficaces que les Dragons français qui n’avaient jamais fait la guerre, ne connaissaient pas le terrain et gardaient surtout les postes.

Quelles étaient vos relations avec la population française ?

Au Khroubs, j’avais quelques contacts avec la population française mais au bled, il n’y avait que des Kabyles. Il fallait aller à Kherrata, donc il n’y avait pas de relations. Hormis le maire d’un village voisin sinon la population était uniquement kabyle.

A un moment la guerre était pratiquement gagnée…

Oui, au moment du Putsch. Mes Dragons s’interrogeaient : qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on devient. Va-t-on être rapatriés, la guerre est finie ? Je ne comprenais pas, nous étions en train de gagner la guerre sur le terrain, c’était effectif dans ce bled et à Alger il ne s’en rendait pas compte ! Il faut dire que nous ne savions pas ce qui se passait entre Alger et Paris ! Nous n’étions pas dans le coup mais il est certain que les problèmes politiques avaient évolué.

Avez-vous pensé que la Décolonisation était inéluctable ?

Oui mais nous pensions que nous aurions pu négocier de manière différente.

Avez-vous senti une continuité avec la fin de la guerre d’Indochine ?

Non, je n’ai pas fait l’Indochine car j’étais en congé de maladie mais je n’ai pas fait le rapport entre les deux. Il est certain que sur le plan militaire, le plan Challe était une victoire totale. Après ce plan Challe, le Djebel Babor cette immense montagne converti de forêt, était vide de combattants. Nous circulions avec un groupe de combat.

Ce fut donc une surprise désagréable…

Oui.

Pour vous parler de mes relations avec la population locale, il y a deux événements intéressants dont je me souviens.

A côté de l’Oued Berd au pied du Babor, il y avait un Marabout avec une sainte femme qui s’appelait Taftis. Elle était vénérée dans toute la région. Ils m’ont demandé un jour de restaurer le pèlerinage de ce Marabout. En 1961, nous avons organisé ce pèlerinage au cours duquel la foule est arrivée de toute la région en particulier de Sétif. Des milliers de gens sont venus vénérer la « Maraboute » de Taftis.

L’autre affaire c’est l’opération de récupération de fourrage dans la montagne. Autrefois le village avait des mechtas de campagne, de repos où ils se rendaient en été. Depuis la guerre d’Algérie, ils ne pouvaient plus y aller. Un jour, ils m’ont demandé d’aller dans le Djebel Babor pour faire les foins. J’ai donné cette autorisation et les femmes et les enfants sont partis pendant une journée. Je les ai protégés par des pelotons sur place et le soir, ils sont revenus chargés de bottes de foin pour leur bétail.

Aviez-vous des relations avec les autorités catholiques ?

Il n’y avait rien, pas d’églises. Au plus proche, c’était Kheratta et je ne les connaissais pas. Il y avait bien des aumôniers militaires mais on les voyait rarement, ils ne venaient pas souvent. Ils étaient probablement débordés.

Quand êtes-vous revenu sur le Continent ?

A la fin de l’année 1962 après avoir passé une année au 2ème Bureau de Reghaïa, je suis rentré et j’ai été affecté auprès du général de Boissieu qui commandait la Brigade Blindée de Saint-Germain-en-Laye. Je me suis lié avec le général de Boissieu, j’ai eu d’excellentes relations avec lui qui était un homme très urbain. Il était évidemment en admiration devant son beau-père.

Ma carrière militaire m’a permis d’avoir des relations confiantes avec un grand nombre de personnalités éminentes. Je pense à monsieur Pierre Messmer que j’ai bien connu et a fait une préface à ma thèse de Doctorat. Les généraux Valentin, Hublot, Mathon qui ont commandé la 1ère Armée à Strasbourg alors que le 13ème Dragon était subordonné à la 1ère Armée. Je les ai bien connus. Le général Vanbremersch qui leur a succédé. Le général Gribius dont je vous ai parlé, le général Marzloff qui a commandé le 8ème Hussards. Le général Degas, chef du 2ème Bureau de Baden, l’Amiral Lacoste qui a fait la préface de mon livre sur le Renseignement, le général Georgelin qui m’a décoré de la Légion d’honneur.

Le général Gribius qui était proche du général Leclerc, vous a-t-il parlé de sa disparition ?

Nous n’en n’avons pas parlé. Je suis allé voir le général Gribius après la guerre d’Algérie. Il était maire d’un petit village près de Saumur et était toujours célibataire. Il nous a reçu d’une manière sympathique. Nous avons parlé de l’Algérie mais pas du général Leclerc.

Qu’avez-vous pensé de la politique menée par le général de Gaulle en Algérie ?

Je pense qu’il a terminé trop rapidement et de façon trop brutale la guerre d’Algérie. Il y avait sûrement moyen de trouver une autre solution. J’ai bien connu aussi le colonel Hélie de Saint Marc. Je l’ai invité, il est venu faire des exposés.

Il avait des positions assez tranchées.

Oui, il m’a dit : m’avez-pas peur, il faut tout dire, ne cachez rien. Cela m’a d’ailleurs valu des difficultés avec la direction des Archives de France qui m’a reproché d’avoir diffusé des documents sans autorisation.

Parmi mes relations intéressantes, on en reparlera tout à l’heure, mais parmi les pieds-noirs il y a des historiens que j’ai bien connus.

Il y a Francine Dessaigne une femme d’Alger qui a écrit plusieurs ouvrages en particulier le « journal d’une mère de famille pied-noir ». Elle a été dans la fusillade de la rue d’Isly. C’est une femme qui a écrit beaucoup de livres sur l’Algérie. Elle travaillait beaucoup. Un jour elle m’a invité à venir la voir, ce que j’ai fait. Elle m’a dit qu’elle ne voyait plus clair, qu’elle ne m’entendait pas. Pour elle c’était la fin et effectivement, elle s’est suicidée dans l’après-midi !

Il y a aussi Janine de la Hogue avec laquelle j’ai beaucoup travaillé. Mario Faivre avec lequel j’ai fait des recherches. Jean Servier. Monsieur Augarde. Le préfet Barakrok. René Mayer. Boualem Sansal que je connais. Le préfet Ben Mebarek.

Du côté des harkis, je connais aussi très bien monsieur Bouarès, un ancien adjudant-chef qui était le patron des Harkis. Goudjil, le patron des Harkis de Paris. Mekachera avec qui j’ai également de bonnes relations. Merabti et Alim, des présidents d’associations de Harkis.

Par ma femme, j’ai également des relations avec les Equipes Médico-Sociales Itinérantes (EMSI), en particulier Georgette Brethes qui est leur présidente et Aline Mahiout qui est leur secrétaire actuelle. J’ai eu aussi d’excellentes relations, même si je ne l’ai pas vue depuis longtemps, avec madame Bourgois qui était assistante sociale du camp de Bias, une femme remarquable qui s’est beaucoup occupée des Harkis de Bias, et dément toutes les histoires entretenues par Djellali Kerchouch. Les descendants de ces Harkis ont reproché au commandant du camp de Bias d’avoir une action très dure avec beaucoup de discipline. Pratiquement une restauration du colonialisme alors qu’ils ont, en fait, été très désireux d’améliorer leur situation. Au final les gens de Bias s’en sont bien sortis. Certains ont atteint un bon niveau de culture même si quelques-uns ont complètement sombré. Certains parents ne se sont pas aperçus que leurs enfants devaient acquérir une culture Française. Ils sont restés dans leur culture kabyle ou musulmane ce qui a beaucoup gêné l’intégration des enfants de harkis. Mais certains ont réussi et souvent grâce au frère aîné que de jeunes Harkis se sont intégré et sont devenus médecins ou professeurs.

Aviez-vous reçu quelques rudiments sur l’Afrique avant votre premier départ ?

A Saumur, on nous a donné quelques cours d’Arabe mais ça ne m’a jamais enthousiasmé. On nous donnait aussi quelques informations sur la culture locale mais sur le terrain nous avons découvert par nous-même.

Quels souvenirs vous reste-t-il de cette véritable épopée que vous avez vécue là-bas ?

Les souvenirs de populations sympathiques avec lesquelles nous aurions pu avoir de meilleures relations. Certaines nous sont restées fidèles alors que d’autres ont rompu les liens.

Il y avait de l’incompréhension ?

Je pense.

Peut-être que des efforts mutuels n’ont pas été faits ?

Probablement. Il y a eu aussi toute une action de désinformation conduite par les responsables du FLN, les politiciens algériens qui ont pris en main la population, l’opinion publique en Algérie.

Les entreprises de développement de la région avaient-ils été suffisantes ?

L’action des français dont la nôtre menée dans le bled était très efficace et pouvait aboutir s’il n’y avait pas eu une option politique pour tout casser. La population y trouvait son compte. Un des villages de mon deuxième sous-quartier est venu un jour me trouver. Le village était de l’autre côté de l’oued Berd et il fallait donc qu’ils traversent l’oued pieds nus pour venir se ravitailler. Ils m’ont demandé de construire un pont. Avec mes harkis, nous avons récupéré des barres de fer d’une ligne téléphonique qui avait été abandonnée, ce qui nous a permis de construire un petit pont sur cette rivière. Quelques jours après un orage a tout emporté !

Vous ne faisiez pas partie du Génie mais vous avez tout de même eu une oeuvre de bâtisseur sur place ?

Oui, bien sûr, je vais vous monter cela. La construction de ce pont sur l’Oued Berd, la rivière du froid.

Ce fut donc pour vous une période heureuse et intéressante ?

Bien sûr, j’avais des responsabilités et je m’entendais bien avec les chefs militaires. C’était intéressant.

Aviez-vous aussi des relations avec l’aviation ? Y-avait-il un terrain à proximité ?

Au Khroubs, il y avait la base aérienne de Oued Hamimin. C’était une petite base, surtout des avions d’appui, des T6 et des avions d’observation. Il y avait une base très importante près de Sétif où il y avait des tas de gens connus dont le colonel Crespin.

Avez-vous quelques regrets quant à des choses que vous auriez aimé faire au cours de cette campagne et que vous n’avez pas pu réaliser ?

Non, j’ai pu faire ce que je voulais mais mon regret c’est d’avoir été obligé d’abandonner. Dans le cadre du plan Challe nous recevions de bonnes instructions. Nous étions bien orientés. On tenait compte de ce que nous disions. J’avais un commandant de secteur à Périgotville qui était le colonel André, un polytechnicien, un homme énorme que mes Harkis appelaient « deux cents kilos ». C’était un homme exceptionnel. Après que j’aie quitté mes Harkis, il est venu dans les villages avec des camions et leur a proposé de les rapatrier en France avec leurs familles. Et les Harkis ont refusé ! Ils ont cru aux accords d’Evian, ils ont fait confiance au général de Gaulle, qui etc. Après coup, ils se sont aperçus qu’ils avaient fait une erreur !

De combien d’hommes disposiez-vous ?

J’avais 80 Harkis sur une population de 5000 habitants. J’avais aussi un escadron de Dragons, des Français et des Musulmans mélangés. Mon escadron comptait environ 120 hommes donc 200 avec les 80 Harkis.

Et en moyens militaires ?

Je n’avais aucun moyen hormis une Jeep et un camion GMC. Tout se faisait à pied ! Ma femme allait dans les villages en GMC.

Ou en bourricot vous nous le disiez.

Dans les villages elle prenait le bourricot mais avant, elle prenait le GMC.

Il y avait donc un déficit de moyens, Y compris en armement ?

L’armement était correct et nous avions récupéré de l’armement sur le terrain. Nous n’étions pas malheureux sur ce plan.

L’intendance suivait bien.

Oui, il n’y avait pas de problèmes. J’avais un chef comptable qui allait toutes les semaines à Sétif faire le ravitaillement. Sur place dans certaines vallées, on trouvait des orangers et on pouvait acheter des oranges.

C’était une vie très différente de celle de la Métropole.

Oui, nous vivions dans des Mechtas, il n’y avait pas de casernes. Voilà mon PC de l’oued Berd. C’étaient des baraquements préfabriqués, des genres de baraques Adrian.

Si vous voulez, on va passer à côté pour voir le côté Maroc.

 

Missions en famille en Afrique du Nord (avec Madame Faivre)

Je vous ai amené ici car sur cette tablette, j’avais des poignards marocains qui datent d’une centaine d’années au moins. Quand je suis arrivé à Oujda et que j’ai fiât connaissance de Monique et de sa famille, le père de Monique qui était commandant Dreveton avait fait la guerre de 14 de la première promotion de la Grande Revanche c’est à dire Casoar et gants blancs. Il avait été blessé…

Madame Faivre : C’est une erreur Maurice. C’était la promotion juste avant car ils ne sont pas allés à l’école eux. Ils n’ont pas été à Saint-Cyr. Ils ont passé six mois de…

Maurice Faivre : Donc, il a été blessé et affecté en 1919 à Marrakech où il contrôlait le Glaoui (Thami, le Pacha de Marrakech).

Il a ensuite fait toute une carrière dans les affaires indigènes. Il a été re-mobilisé à plusieurs reprises jusqu’en 1942 où il était à la Direction des Affaires Politiques à Rabat. C’était un contact avec les marocains qui était intéressant.

Madame Faivre : Il n’était pas très bavard. Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette époque où j’avais 15,16,17 ans.

Vous pouvez nous raconter comment vous vous êtes rencontrés et quelle a été votre action avec votre époux ?

Madame Faivre : Ah, c’est moi qui parle maintenant (s’adressant à son mari), vous avez beaucoup parlé ! Nous étions à Oujda. Actuellement il parait que c’est très important mais c’était une petite ville. Il y avait un Régiment et les jeunes filles voyaient les officiers du Régiment. Et c’est comme cela que nous nous sommes rencontrés tout simplement. Mon mari était au 2ème R.E.C, un Régiment très brillant. Donc voilà…

Vous êtes-vous mariés tout de suite ?

Non, mon mari a eu quelques problèmes de santé, il est rentré en France et moi j’étais au Maroc

Cette séparation a dû être douloureuse ?

Il venait tout de même car il était en congé de maladie et venait à Oujda où nous nous sommes d’ailleurs mariés

Maurice Faivre : Il y a eu une circonstance exceptionnelle, c’est que mon beau-père a acheté une villa sur la lac de Malbuisson à 40 kilomètres de mon lieu de naissance de Morteau ! Ça a contribué à resserrer les liens !

Madame Faivre : C’est vrai, j’avais oublié et j’ajoute que mes parents n’ont pas acheté cette maison parce que nous nous connaissions mais c’était avant ! C’était une coïncidence !

Maurice Faivre : J’ai fait des recherches sur la généalogie de la famille de Monique. Son arrière, arrière-grand-père qui s’appelait Dreveton était à Nemours en 1848. Cette ville portait un autre nom et il a créé la ville moderne de Nemours. Il a été maire de Nemours, son fils lui a succédé etc… La famille Dreveton était originaire de la Drôme s’est installée là-bas s’occupant d’abord du ravitaillement de l’Armée avant de s’orienter vers les travaux industriels…C’est le la partie familiale du côté paternel, la famille Dreveton.

Il y a aussi la partie maternelle. La grand-mère de Monique est la fille du capitaine de vaisseau Farcy dont la photo est là…

Madame Faivre : Maurice, c’est du côté de mon père aussi les Farcy. Ce n’était pas du côté de ma mère, ça n’a rien à voir…

Maurice Faivre : Mais c’était votre grand-mère. Le commandant Farcy était dans la Marine. Vous en voyez trois images. Comme mousse il a fait naufrage en Amérique de Sud, ensuite il a été lieutenant de Vaisseau puis capitaine. C’était un homme très astucieux et soucieux de la technique de l’armement. Il a inventé une canonnière dont vous voyez une photo qui a été engagée en 1870 sur la seine contre les Allemands. C’était une canonnière à fond plat qui pouvait circuler sur les rivières et qui avait un très gros canon de 140, je crois. Il a fait la campagne de 1971 à bord de cette canonnière. Il a ensuite construit deux canonnières qui ont été envoyées en Indochine contre les pirates indochinois.

Madame Faivre : Sa femme était là et les Allemands disaient « Kaput Farcy, Kaput »

Maurice Faivre : On m’a donné ce livre qui m’a permis d’acquérir une connaissance très détaillée du Maroc avec la dédicace du lieutenant de Foucault qui a fait ce livre (« Reconnaissance au Maroc »). C’est un ouvrage scientifique. Il a parcouru tout le Maroc  et a fait de sa main des gravures de tous les itinéraires qu’il a fréquenté. Il était encore dans l’armée mais avait obtenu un congé pendant six mois pour parcourir le Maroc en partant de Tanger pour revenir jusqu’à Oujda. C’est un livre très intéressant qui permet d’avoir un historique très complet.

Alors vous madame vous êtes devenu pratiquement une infirmière ?

Non c’étaient des équipes médico-sociales. Pendant cinq semaines nous apprenions à piquer. C’était pour aller dans le bled où nous étions en petite Kabylie. Je garde un très bon souvenir. C’est curieux après coup, je me promenais dans cette forêt montagneuse avec deux adolescents. Je parle peu arabe puisque nous avons habité au Maroc mais kabyle pas du tout! J’avais deux adolescents qui venaient avec moi. On m’avait donné un âne aussi sur lequel je ne suis jamais montée. Et nous arpentions la région. Après coup, je me dis qu’il n’y avait aucune protection mais je n’ai jamais eu peur, je n’ai jamais pensé que je pouvais être menacée.

Vous apportiez donc des soins à la population ?

J’allais de famille en famille. Il y a deux choses que j’ai beaucoup regretté : normalement un médecin vient et celui-là avait refusé de venir, je me sais plus pourquoi. Il n’est jamais venu. J’étais là mais en cinq semaines on n’apprend pas grand-chose. Je n’ai jamais fait de piqures intraveineuses. On leur piquait les fesses mais je n’avais pas de médicaments. J’ai écrit à différents laboratoires qui m’ont envoyé des médicaments. J’ai ainsi donné des vitamines ou des choses comme cela. C’était donc un peu limité mais quand on voit la façon dont, quand ils sont rentrés en France, ils nous ont accueilli, Ce fut extraordinaire ! C’était aussi un peu normal nous étions des visages qu’ils connaissaient alors qu’ils n’étaient jamais venus en France. Les hommes venaient travailler mais les femmes non.

Ils étaient reconnaissant de l’assistance que vous leur aviez apportée.

Oui, en France j’ai été un peu pour elles, quelqu’un a qui se raccrocher.

Maurice Faivre : Un Harki a perdu son épouse et s’est marié au Maroc. Il est venu en France et est venu nous voir.

Madame Faivre : Nous avons encore des relations avec quelques familles de Harki mais plus beaucoup car les choses ont beaucoup évolué. Récemment nous avons vu un couple qui s’est intégré d’une façon extraordinaire. Ils ont eu cinq enfant dont l’une s’est mariée avec un Français de France, un autre avec une suédoise…Ils sont intelligents et extraordinaires! Nous les voyons quelquefois

Maurice Faivre : C’est un fils de Harki qui a écrit un bouquin sur ses relations avec le commissaire politique qui était resté sur place en 1962 avec lequel il a eu beaucoup de difficultés.

Madame Faivre : A cette époque il était très jeune (moins de vingt ans) mais il regardait beaucoup autour de lui. Il appelait ça le Chouf. Il regardait et après racontait ce qu’il voyait. Il devait avoir 16 ans puisqu’il avait été à l’école. Je ne sais pas s’il avait passé son certificat. Par contre, il y en a d’autres, bon…

Avez-vous gardé des contacts avec votre période marocaine ?

Madame Faivre : Vous avez raconté leur arrivée je suppose ?

Maurice Faivre : Oui

Madame Faivre : Nous allions les voir tous les dimanches. Je ne peux pas oublier, le souvenir de mon mari que j’ai! Nous n’avions pas d’appartement à Paris à ce moment-là. C’était au restaurant ou plutôt au Mess. J’ai vu mon mari qui m’a dit qu’il avait vu certains Harkis qui étaient rappelés. J’ai demandé des nouvelles de certains d’entre eux Mais celui-là avait été tué, un autre égorgé…Ca a été horrible pour moi ! Les femmes dont les maris ont été tués ne sont pratiquement pas rentrées…

Maurice Faivre : Elles n’ont pas été rapatriées, il n’y avait personne pour s’occuper d’elles.

Madame Faivre : L’un d’eux nous a dit qu’il avait vraiment des regrets. Mon mari a dû vous raconter comment cela s’était passé. Ils sont rentrés. Ils se cachaient, ils étaient obligés de monter la garde…Voilà, je vous raconte des choses que vous avez déjà entendu. Cela m’a beaucoup bouleversée. Nous allions les voir et ça s’est arrangé petit à petit, ils se sont bien adaptés.

Vous avez gardé des contacts avec des gens qui sont en Algérie maintenant ?

Maurice Faivre : Oui, une famille qui nous écrit de temps en temps. Ils ont treize enfants. C’est le fils d’un Harki qui a été tué en 1962, c’est pourquoi il n’a pas été rapatrié. Il a repris contact avec moi et m’écrit de temps en temps.

Madame Faivre : C’est celui qui voulait rentrer. Il est venu deux ou trois fois à la maison mais il n’a pas pu.

 

Publications

Je poursuis des activités dans le domaine de l’histoire.

Ceci est intervenu bien après la fin de la guerre d’Algérie et depuis cette date, j’ai écrit une douzaine de livres personnels, j’ai participé à autant de livres collectifs et j’ai fait des centaines d’articles de tous les côtés.

Le premier ouvrage que j’ai publié c’était une thèse de doctorat que j’ai faite à Paris, « Les Nations armées » avec une préface de monsieur Pierre Messmer. C’était en 1968.

Ensuite, je me suis intéressé à l’histoire de l’Algérie d’abord parce que m’occupant de mes Harkis à Deux, je me suis aperçu que leurs enfants ignoraient tout de l’histoire de leurs parents. Ils n’avaient jamais voulu leur dire leur malheur, ni pour quoi ils s’étaient engagés. J’ai donc décidé, pour ces enfants, d’écrire l’histoire de leur village. Je suis remonté à l’Antiquité, la colonisation romaine etc…j’ai retrouvé des sources sur l’origine de ce village de petite Kabylie. Il y a deux photos sur la couverture, une photo d’un mechta d’Algérie et puis une photo où je les ai retrouvé à Dreux devant le H.L.M. où ils étaient logés. (« Un village de Harkis »).

A partir de là, j’ai fait une série d’ouvrages sur la guerre d’Algérie. J’ai élargi le problème des Harkis à tous les combattants, J’ai fait des recherches approfondies dans différents dépôts d’archives. En particulier dans les archives du Fonds algérien d’action démocratique. Je suis allé plusieurs jours à Genève pour un bouquin sur « La Croix Rouge dans la guerre d’Algérie ». J’ai eu accès aux archives du général Paul Ely (Le général Paul Ely et la politique de Défense « 1956-1961 »). J’ai eu accès à toutes les archives des Services de Renseignements et j’ai fait un ouvrage qui fait autorité (« Le Renseignement dans la guerre d’Algérie »). J’ai fait une recherche approfondie également sur la Commission de Sauvegarde des Droits et des Libertés qui était présidée par Maurice Patin dont j’ai reproduit des extraits dans ce livre (« Conflits d’autorités durant la guerre d’Algérie »).

Egalement dans la même série de recherches historiques, j’ai rédigé des articles sur la présence française Outre-mer pour l’académie d’Outre-mer, les otages dans l’histoire, la bataille de la guerre d’Algérie, les barrages frontaliers, etc…

Certains articles sont très importants mais malheureusement je ne les ai pas retrouvés. En effet en 1959, j’ai été chargé de mission en Corse (Rapport de mission en Corse) par le 2ème Bureau de Baden qui m’a demandé une reconnaissance en Corse pour savoir comment on pouvait lutter contre l’Union Soviétique en agissant sur leurs arrières. J’ai donc écrit ce rapport de mission en Corse et c’est d’après ce rapport que le gouvernement a décidé de créer le 13ème Dragons Parachutistes. C’est donc un rapport très important mais je n’ai jamais pu le retrouver, les archives des FFA (Forces Françaises en Allemagne) n’existent pas n’ayant jamais été classées. Ceci est le premier résultat obtenu et ensuite quelques années plus tard en 1977, j’ai fait une étude sur la recherche du Renseignement contre une armée Soviétique en soulignant qu’il y avait un certain nombre de moyens de recherche qui existaient mais qu’il y avait des trous, en particulier pour les Corps d’Armées. Mon rapport a été transmis par le général Richard à l’état-major et c’est à partir de ce rapport qu’on a créé un nouveau Régiment de recherche sur les arrières des Corps d’Armées qui est un Régiment de Hussards qui est à Haguenau (Bas-Rhin).

Pourquoi un rapport en Corse pour combattre l’Union Soviétique ?

En Corse, j’ai rencontré des Parachutistes qui avaient été engagés dans les groupes de commandos en Indochine et ensuite dans le Service Action en Algérie. Ils m’ont montré comment des caches permettant d’échapper à l’observation étaient organisées. C’est à partir de ces rapports que nous avons décidé de créer le 13ème Dragons.

S’agissant des archives du 2ème Bureau, j’ai conservé, mais c’est la seule archive qui me reste de Baden, celle qui donne tout l’organigramme des unités soviétiques, les Régiments, les Divisions, les Armées soviétiques en Allemagne. (« Organigrammes du GPSA »). De façon très détaillée.

Le général de Boissieu m’a chargé d’organiser des colloques à Arc-et-Senans sur le style de commandement des Régiments. J’ai contacté deux experts des problèmes de relations de commandement (Jean Mialet et Hervé Serieyx) qui avaient créé une Association qui s’appelait la S.A.R.I.A. (Section d’accueil de Réflexion et d’Aide). Nous invitions à Arc-et-Senans des chefs de corps qui racontaient leur façon de commander et nous les opposions à des personnels civils qui étaient des responsables d’entreprises. Ceci a permis d’améliorer le style de commandement, en particulier le problème de la communication à l’intérieur de l’unité.

J’ai réalisé une autre étude très intéressante quand j’ai passé le Diplôme d’Etudes Approfondies à Strasbourg (« Les organisations paramilitaires dans les pays de l’Est » (population civile et défense). C’est une étude très approfondie sur les organisations paramilitaires en U.R.S.S., en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, dans tous les pays de l’Est.

Il y a d’autres archives intéressantes par exemple celle sur le 13ème Dragons où j’ai été cité par monsieur Jean-Dominique Merchet (« De la cavalerie aux Forces Spéciales »), j’ai fait la conclusion de ce livre sur les Harkis (« Les Harkis soldats abandonnés, témoignages »), j’ai fait deux articles dans « le Livre Blanc de l’armée française en Algérie », un article sur une revue suisse (« Le temps stratégique ») sur la conscription et un article sur l’armée d’Afrique.

Une question que l’on se pose souvent, mon général : est-il facile d’écrire, en particulier pour la partie d’Algérie, sur des périodes que vous avez, vous-même, vécues ? Réussir à prendre suffisamment de distance pour le travail d’historien avec votre expérience personnelle et vos connaissances ? Est-il facile de rester impartial ou neutre ?

Quand j’écris ces livres, je ne tiens plus compte de mon expérience personnelle. Ce sont des écrits qui sont basés uniquement sur les archives que je découvre. Par exemple sur la Commission de Sauvegarde du Droit des libertés, je devais participer à un colloque qui a été abandonné. C’est regrettable car ce sont des sujets qui ne sont pas connus car je suis un des rares à avoir eu accès à ces archives qui étaient très protégées ! A ce sujet, j’ai eu des problèmes avec la directrice des archives, madame de Boisdeffre (Directrice des Archives de France) qui m’a reproché d’avoir publié certaines choses. Elle m’a dit que je n’avais pas le droit de donner le nom des gens torturés et des auteurs de ces tortures. Alors qu’un certain nombre d’historiens racontent leur vie ! Comme Benjamin Stora ou d’autres ! Sur la torture en particulier beaucoup d’exposés ne sont pas toujours réels !

J’en arrive au dernier point. Je suis en train de travailler sur la Guerre froide en Centre-Europe. C’est en fait la deuxième partie de ma carrière militaire puisque j’étais chargé du renseignement à cette époque-là. Nous avions conçu au départ de faire un colloque sur le sujet. Le colloque a été abandonné et nous allons le transformer en ouvrage collectif. Avec le professeur George-Henri Soutou que vous connaissez qui est un grand spécialiste de l’Histoire Contemporaine, nous avons contacté une trentaine d’historiens, français, suisses allemands. Mon travail est à peu près terminé, il me manque encore un chapitre mais j’arrive au bout et je pense que nous sortirons ce livre à l’automne.

Ecrire un livre sur ce sujet aujourd’hui est-il aussi facile ou aussi difficile que d’écrire un livre sur l’Algérie avec le décalage du temps. Nous sommes sur un sujet différents, est-ce moins sensible ?

C’est un domaine différent où il y a moins de problèmes politiques. Je traite le problème du renseignement militaire. On ne parle pas des problèmes politiques qui compliquent les affaires. Voilà.

FM-GACMT 2018

Ce texte  est la retranscription écrite de l'entretien filmé par Patrick Audoin le 28 mai 2018 au domicile des époux Faivre. Cet entretien filmé sera disponible en visionnage au Centre de ressources documentaires de la FM-GACMT, sur demande (après la période de pandémie).

Maurice Faivre (c) FM-GACMT 2018

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